Solimanque
Pour les deux trois qui "suivent", on quitte un peu les contes de guerre pour d'autres.
~ Celui qui se mêlait de tout ~
« Cela me rappelle l'histoire de Solimanque. Elle est amusante, de mon point de vue. Et elle est de toutes les époques.
« Solimanque était un jeune magicien assez talentueux dans son métier. Il vivait tranquillement loin des tourments des batailles et venait en aide aux gens des villages, surtout en tant que guérisseur alternatif aux experts des plantes. Il était instructeur de la jeunesse aussi. Bref, il menait une vie de noble du village.
« Toutefois, il avait un bien terrible défaut : il se mêlait de tout, ab-so-lu-ment-de-tout ! C'en était infernal. Par exemple, un exemple tout bête : si quelqu'un venait à acheter une baguette de pain sous ses yeux, il allait se permettre d'intervenir, pesant le pour et le contre d'un tel achat : le poids de la baguette, la corpulence de la personne, la qualité du pain. Dites que vous avez apprécié un livre, il vous dira inmanquablement non pas si il l'a aimé ou pas mais il vous signifiera la qualité de cet objet selon des critères qu'il argue comme scientifiques et sans appel, et que donc il va se permettre de vous dire si vous avez raison ou pas d'apprécier tel ouvrage. La beauté d'une chanson, la bonté d'une personne, l'intérêt d'un tableau... Tout, tout, tout. De plus, Solimanque, toujours dans sa logique de La Raison, ne supportait pas ce qu'il considérait comme étant un manque de bon sens. Ainsi allait sa vie, qui allait prendre un tournant bien singulier, et ce, à cause d'un simple pot.
« Un jour qu'il faisait la vaisselle, il advint qu'un pot (le fameux pot) tomba dans sa bassine. Solimanque se retrouva éclaboussé, de la tête au pied.
« - Ca m'énerve !! se dit-il. Non mais quel non sens c'est de se faire mouiller à tort et à travers ! Pourquoi l'eau se permet-elle de nous tremper comme ça alors qu'elle pourrait très bien nous éviter (N'oublions pas que c'est un magicien et qu'un magicien sait bien des choses) ! C'est stupide, voilà tout.
« Eh oui... Vous ne vous y trompez pas, il en avait même à redire sur les éléments, le pauvre garçon...
« Bon magicien qu'il était, il se décida à aller à la fontaine dans les bois et appela l'avatar de la Dame des eaux, pour lui faire comprendre que cela suffisait bien et que rien ne justifiait un tel traitement. Ses arguments étaient bien entendus infaillibles. Pourtant, malgré son énervement prononcé et sa réthorique d'après lui sans faille, il n'obtint pas la réponse qu'il attendait :
- Voilà un mortel bien curieux, qui se permet de chercher à nous comprendre. Un bien piètre idiot... Bon, la Dame des eaux réclame pénitence, ce sera donc fait. Je te l'annonce : toute personne à qui tu feras la leçon désormais te répondra. Et la réponse ne souffrira plus jamais d'une once de mensonge ni de retenue. Et alors tu comprendras jeune homme, que ce que tu appelles le bon sens n'est rien d'autre que l'expression de ta vantardise. Tu verras que tu es une personne bien faible en bon sens en réalité car si tu en avais, tu chercherais avant tout le bonheur des tiens. Ainsi ma mère la Dame en a décidé.
« Sur le chemin du retour, un peu retourné, Solimanque repensait aux mots de l'avatar. Il ne tarda pas à se convaincre de l'idiotie de l'Eau, qu'il n'avait rien à se reprocher et que ce châtiment ne pourrait rien lui faire, car après tout il était de bon conseil et que ceux qui n'appréciaient pas ces fameux conseils n'étaient sûrement pas dignes d'intérêt.
« Et... la vérité l'accabla. Nul ne se taisait plus dorénavant dès que notre jeune érudit avait quelque chose à redire sur la moindre broutille. Tout le monde, ses amis, ses proches et les autres le reprenait sans cesse. Même sa mère, sa maman, l'envoya valdinguer dans les roses, elle qui avait toujours était d'une patience infinie envers lui et qu'il tenait en estime plus que tout. L'estime de Solimanque prit un sacré coup depuis ce jour-là.
« Heureusement pour lui, il possédait dans son entourage une amie magicienne, comme lui, une collègue de travail. Cette dernière était pleine de bon sens , avec une modestie sans fin, une empathie réelle et un cœur de ceux qui font du bien. Devant la douleur que vivait son ami (qui était si déprimé qu'il n'osait plus parler à quiconque, ce qui évita à cette jeune demoiselle de lui répondre des mots qu'elle n'aurait pas souhaité dire), elle essaya d'être de bon conseil et de lui faire comprendre l'erreur de son comportement passé. Et il comprit qu'il n'eut d'autre choix que de l'écouter. Il en avait même envie en fait, et il ne souhaitait plus rien dire.
« C'est ainsi que, toujours victime de sa malédiction, il apprit à se taire, à mesurer l'importance de ses pensées, à laisser tranquille. Sa précieuse amie devint sa femme. La malédiction resta en lui toute sa vie, mais elle ne lui posa (presque) plus aucun problème. »
Récit de la Mère marcheuse, dans la taverne du Bretteur boutonneux.